Petit historique de la phathologie du Traumatisme

L’approche psychologique

Dès le XIX siècle, la psychologie se pencha sur les différentes formes que revêtent dans la psyché les marques rémanentes, à travers les études du traumatisme sexuel et des névroses de guerres (Freud, Ferenczi). Oppenheim, Charcot, Janet, puis Fenichel, Kardiner et Simmel, s’intéresseront quant à eux, plus particulièrement à la névrose traumatique.
Deux questions se poseront alors à propos de l’origine du traumatisme. Fallait-il envisager les symptômes spécifiques de la névrose traumatique dans une perspective purement mécanique et organique (Oppenheim) ou leur donner un point de départ encré dans le psychisme de l’individu (Freud) ? Une autre question était celle de l’identification des symptômes spécifiquement liés au traumatisme, dans la mesure où ceux-ci ne surgissaient pas toujours immédiatement après l’événement. Oppenheim, Charcot et surtout Janet mettront en évidence le rôle joué par les souvenirs oubliés ou plutôt les « idées fixes » qui influaient selon lui de façon souterraine sur le développement des traumatismes.

Dans la perspective freudienne, tout traumatisme relèverait de la sexualité. Toutefois, ce concept de sexualité ne limite pas la sphère du sexuel aux seules relations génitales adultes. Dans « Etudes sur l’hystérie » (1895), Freud reliait l’origine des névroses à un événement traumatique infantile. Ainsi, un adulte névrosé devait avoir subi de façon passive et non traumatisante, un traumatisme sexuel pendant son enfance. Le souvenir refoulé était alors réactivé à l’arrivée de la puberté, à la faveur d’un événement ayant un lien associatif avec le trauma initial. Deux évènements conditionneraient donc l’apparition du traumatisme. Le premier, comme mentionné plus haut serait vécu dans un état d’immaturité sexuelle et de passivité, ne prendrait son sens que dans l’après-coup tandis que le second surviendrait en déclenchant un afflux d’excitation sexuelle qui déborderait les défenses du moi. Pour Freud, une agression sexuelle subit durant l’enfance ne se transformerait en expérience traumatique que si des évènements ultérieurs réactivent la mémoire laissée par cette agression. Même si Freud ne mettra pas en doute la réalité de l’évènement traumatique, il oscillera toute sa vie entre l’hypothèse d’une séduction réelle et l’hypothèse d’une séduction fantasmée : Réalité de l’inceste ou fantasme œdipien. Il privilégiera le rôle prépondérant du fantasme dans la naissance de la névrose. Les fantasmes dont lui faisaient part ces patientes avaient trait à la séduction paternelle. La barrière entre fantasme et réalité devenait caduque dans les deux cas puisque les conséquences futures étaient semblables du fait d’un déclenchement de trop d’excitation. Plus tard,

dans « Abrégé de psychanalyse » (1938), il remplacera le père séducteur par la mère en parlant d’elle comme étant la première séductrice, unique, incomparable, inaltérable et permanente. Du coup, la figure maternelle représentait aussi une source potentielle de traumatismes du fait de son rôle dans les soins ou les contacts corporels. Il reviendra par la suite à la notion de traumatisme sexuel réel en attirant l’attention d’abord sur les répercussions de certaines influences qui, si elles ne s’exercent pas sur tous les enfants, sont malgré tout assez fréquentes : Les abus sexuels perpétrés par des adultes, séductions par d’autres enfants.

Freud écrira dans « Les Etudes sur l’hystérie » (1895) en s’appuyant principalement sur les névroses de guerres que le terme traumatique n’aurait pas d’autre sens qu’un sens économique. Il appellera ainsi un événement vécu qui, en l’espace de peu de temps, apporte dans la vie psychique un tel surcroît d’excitation que sa suppression ou son assimilation par les voies normales deviennent une tâche impossible, ce qui aurait pour effet des troubles durables dans l’utilisation de l’énergie. Un sujet en proie à l’excitation traumatique étant submergé par l’afflux pulsionnel ne pourrait plus évacuer cette surcharge. Le moi s’en trouverait débordé alors qu’habituellement pourrait-on dire, celui-ci y était préparé grâce à l’angoisse qui lui sert de défense contre les différents affects (terreur, effroi). Une autre étape de la pensée freudienne sera franchie avec « Moïse et la religion monothéiste » (1939). Freud y démontrera l’universalité du traumatisme comme faisant partie intégrante du développement précoce du psychisme. Il l’assimilera à des blessures narcissiques précoces. Il parlera d’impressions éprouvées dans la petite enfance puis oubliées, celles-ci devenant traumatiques en fonction de la quantité reçue. Un Moi insuffisamment organisé ne pourrait donc, selon lui, contenir les excitations trop massives et s’en trouverait alors fragilisé. Toujours selon Freud, nous devons rattacher ces expériences (à des impressions de nature sexuelle et agressive ainsi qu’à des atteintes précoces du moi) des blessures narcissiques, qui ont affecté l’enfant dans son corps, mettant avant tout en jeu les perceptions visuelles et auditives.

Le traumatisme aurait deux effets opposés à savoir un effet positif et un effet négatif. Les effets positifs seraient des efforts pour réactiver le traumatisme permettant de remémorer l’expérience oubliée jusqu’à parfois la rendre réelle afin d’en revivre une répétition. Ces efforts seraient des fixations au traumatisme, des contraintes de répétition pouvant être intégrées au Moi et lui prêter ainsi des traits du caractère. Ils rendraient alors possible l’organisation du Moi en favorisant la répétition, la remémoration et l’élaboration. Les effets négatifs du traumatisme oublié agiraient quant à eux de manière opposée en bloquant toute tentative de remémoration

et d’élaboration. Les effets négatifs du traumatisme devraient selon Freud être analysés comme des réactions de défenses.

L’œuvre de Freud évoquera à maintes reprises le traumatisme, qu’il soit réel puis fantasmé, la séduction par le père puis par la mère, le traumatisme spécifique de la guerre puis le traumatisme universel. Toutefois, ses derniers écrits s’opposeront à ceux de Ferenczi à propos justement de la définition du traumatisme. Lequel Ferenczi affirmait de son côté qu’à l’origine du traumatisme, on trouverait un événement réel et non fantasmé. Après avoir au début de sa carrière, rapproché les névroses traumatiques sur leur origine sexuelle, il classera, après une expérience comme médecin durant la première guerre mondiale, les névroses de guerre dans les névroses narcissiques. Les sujets ayant des tendances narcissiques seraient prédisposés aux névroses traumatiques, mais sachant que le stade narcissique représente un point de fixation majeur du développement libidinal, personne en fait ne pourrait se prétendre à l’abri d’une névrose traumatique. À partir de 1924, il refusera d’expliquer le traumatisme sexuel exclusivement par le fantasme, il s’attachera à défendre la réalité matérielle de ces mêmes traumatismes. Les passages à l’acte, les mouvements passionnels de l’adulte sur un enfant seraient bien des faits réels provocants le traumatisme d’autant plus si ceux-là étaient précoces. Ces traumatismes précoces étant les plus redoutables puisque la période œdipienne s’avère être un moment critique pour des enfants exposés aux adultes ne sachant pas jouer.

Dans son texte « Confusion de la langue entre l’adulte et l’enfant », Ferenczi parlera de confusion des langages qui sera unedonnée fondamentale de son travail : L’enfant se plaçant sur le terrain de la tendresse, l’adulte, séduit, se plaçant sur le terrain de la génitalité. L’adulte passant à l’acte ne connaîtrait pas ou ferait semblant de méconnaître la « règle du jeu ». Selon lui, l’enfant se soumettrait dans la terreur aux actes sexuels de l’adulte, sa peur l’obligeant alors à s’oublier en tant que sujet et à s’identifier à son agresseur. Cette identification à l’agresseur était selon lui, un mécanisme de défense psychologique fondamental pour comprendre certains mécanismes répétitifs et permettait notamment dans de nombreux cas, de comprendre pourquoi un enfant battu ou victime sera à son tour un adulte abuseur. Par identification ou plutôt par introjection de son agresseur, celui-ci disparaîtrait en tant que réalité extérieure et, deviendrait intra-psychique. Ainsi, Ferenczi aura-t-il accordé au déni un rôle prépondérant dans le traumatisme, se posant la question de savoir ce qui est le plus traumatisant, de l’agression elle-même ou de ses conséquences.

IDENTIFIER LE TRAUMATISME

Qu’elles soient actives ou réactives, les victimes ressentent le préjudice-subi. Divers travaux cliniques ont montré que le risque d’apparition d’un symptôme post-traumatique était de 97 % dans les mois qui suivent une agression, de 47 % après trois mois et de 16 % après un an. Mais la difficulté réside dans le fait que souvent les blessures psychiques consécutives à l’acte paraissent invisibles, les rendant d’autant plus difficiles à détecter.

Dans la nosographie européenne classique, le concept de névrose traumatique désigne une affection névrotique développée après une expérience de traumatisme psychique ou trauma. Dans la nosographie du DSM et dans celle de la CIM-10 (tableaux en annexe), le concept d’état de stress post-traumatique désigne une perturbation mentale, supposée être de nature biologique (c’est-à-dire un stress), consécutive elle aussi à une expérience de traumatisme psychique. Ainsi, L. Crocq explicite le sens de chacun des deux mots stress et trauma :

Le mot stress vient du vocabulaire des métallurgistes, qui désignaient le comportement d’un métal soumis à des forces de pression, d’étirement ou de torsion. En 1914, Cannon, un physiologiste américain le transposera à la régulation hormonale des émotions chez l’animal. En 1945, R. Grinker et J. Spiegel (psychiatres américains) l’appliqueront à la pathologie psychiatrique de guerre. En 1950, H. Selye (physiologiste canadien) désignera par stress le « syndrome général d’adaptation ».

Dans la conception de H. Selye, le stress était un phénomène essentiellement physiologique ou neuro-physiologique, réflexe mettant immédiatement l’organisme agressé en état d’alerte de défense. La réaction de stress se déroulerait selon le circuit précis : Transmission des informations nociceptives des organes de sens au cerveau cortical par les voies nerveuses afférentes, puis transmission de ces informations du cortex vers le mésencéphale par des connexions intracérébrales, puis émission par ce mésencéphale de deux sortes de messages vers les organes effecteurs, primo des messages neurovégétatifs utilisant la voie des nerfs et secundo des messages hormonaux utilisant la voie sanguine. Des recherches postérieures (après 1980) permettront d’approfondir les mécanismes du stress se déroulant selon plusieurs axes :

  • L’axe cathécholaminergique, reliant le locus coeruleus, le système sympathique et la surrénale, aboutit dès qu’il est activé à la libération immédiate de noradrénaline dans le sang, avec ses effets d’accroître le taux de sucre sanguin, le rythme cardiaque, la pression artérielle, la vasoconstriction périphérique et aussi la vigilance.
  • L’axe corticotrope, reliant l’hypothalamus, l’hypophyse et la surrénale, entraîne s’il est activé une libération massive de glucocorticoïdes, synthétisé par la corticotrophine hypophysaire ou ACTH, qui favorise la néoglycogènèse à partir des protides et des lipides, prenant ainsi le relais de l’adrénaline qui a rapidement épuisé les réserves en glycogène.
  • L’axe des peptides opiacés utilise la libération de certains peptides (la mélanotrophine et la béta-endorphine) issus de la dégradation d’un précurseur hormonal de l’ACTH (la pro-opio-mélano-corticotrophine). Ces peptides opiacés, intervenant dans la foulée de l’axe corticotrope, atténuent l’intensité de la réponse émotionnelle, en particulier de la réponse de peur.
  • L’axe immunitaire représenterait le niveau le plus profond de l’activité défensive du stress, car le cortisol détruit les tissus lymphoïdes et effondre ainsi les défenses immunitaires. Les glucocoicoïdes détiendraient donc un rôle ambivalent, celui d’assurer une défense dans l’urgence affaiblissant d’autant la capacité défensive résiduelle de l’organisme. Cette défense coûteuse en énergie est grevée de symptômes tels la pâleur, la sueur, la tachycardie et autres spasmes viscéraux… H. Selye prouvera que des stress violents et prolongés aboutissent parfois à la mort de l’animal.

 

Toutefois, s’il insistera surtout sur la nature physiologique et psychophysiologique du stress, il ne se souciera pas du vécu psychique. Or depuis, il est admis que le stress a trois principaux effets de nature psychologique puisqu’il focalise l’attention sur la situation menaçante, qu’il mobilise les capacités cognitives et qu’il incite à la prise de décision et à l’action. Le stress est par ailleurs et sous cet angle une réaction utile car le sujet, grâce au stress peut échapper au danger ou se trouver en mesure d’y faire face (coping). Cependant, lorsque celui-ci est trop intense, il se mue alors en réaction de stress dépassé (inhibition stuporeuse, agitation incoordonnée, fuite panique et action automatique).

Nous venons de voir que le stress est donc une réaction biologique, physiologique et psychologique d’alarme, de mobilisation et de défense de l’individu à une agression, une menace ou une situation inopinée.

La mot traumatisme quant à lui, vient du grec traumatismos, signifiant action de blesser. Son acceptation française correspond plutôt au mot grec trauma qui signifie blessure. On doit ce terme à la pathologie chirurgicale. Il a été ensuite transposé à la psychopathologie et signifie aujourd’hui la transmission d’un choc psychique exercé par un agent psychologique extérieur sur le psychisme, provoquant des perturbations psychopathologiques transitoires ou définitives. Selon la définition de L. Crocq, le traumatisme psychique ou trauma est donc un phénomène d’effraction du psychisme et de débordement de ses défenses par les excitations violentes afférentes à la survenue d’un événement agressant ou menaçant pour la vie ou l’intégrité d’un individu, qui a été exposé comme victime, témoin ou acteur.

C’est P. Janet qui le premier a cerné en 1889, ce qu’est le traumatisme psychique en expliquant que des excitations liées à un évènement violent font choc émotionnel sur le psychisme, y pénètre par effraction et y demeurent ensuite comme un « corps étranger » avant de donner lieu à une dissociation de la conscience. Il préconisera à l’époque de faire réapparaître sous hypnose l’événement traumatisant oublié dans la conscience et de le révéler au patient à son réveil. En 1893, S. Freud reprendra les hypothèses de Janet en désignant la souvenance brute de l’événement par le terme platonicien de « réminiscence ». Comme mentionné plus haut, il pointa les deux aspects du trauma que sont l’aspect dynamique d’effraction et l’aspect absence de signifiant et expliquera en 1921 dans son essai Au-delà du principe de plaisir les aspects dynamiques de sa théorie. De nombreux exégètes de Freud s’attarderont sur le premier aspect, oubliant souvent l’aspect pourtant capital d’absence de signification. Ce sont en fait des psychanalystes militaires comme G. Briole ou F. Lebigot qui réhabiliteront cet aspect en pointant la confrontation avec le réel de la mort comme étant essentielle au trauma devenant un « court-circuit dans le signifiant » ou « traversée sauvage du fantasme ». C. Barrois en 1988, dira que l’accident traumatisant est « moment propulsif » dans sa temporalité, « épiphanie » dans son apparition subite, « apocalypse » dans sa révélation du néant et « prophétie » dans sa proclamation de la mort comme vérité dernière. Sur le plan du vécu clinique, l’expérience devient immanquablement un bouleversement de l’être, une altération profonde de la temporalité et une perte de la possibilité d’attribuer un sens aux choses.

L’amalgame entre les deux termes est courant dans la vie de tous les jours, or nous venons de voir comment le stress et le trauma relèvent pourtant de deux registres différents. Un registre bio-neuro-psysiologique parlant de mobilisation des ressources énergétiques pour le premier terme, psychologique parlant d’effraction dans les défenses psychiques, dont la défense qui consiste à attribuer du sens, pour le second terme. Le stress décrit les aspects neurovégétatifs, le trauma décrit la clinique de l’effroi.

Clinique de la réaction immédiate

Lorsqu’un individu est exposé à une agression ou à une menace soudaine mettant en jeu sa vie ou son intégrité physique ou mentale, il présente immédiatement de façon quasi réflexe, une réaction d’alarme, de mobilisation et de défense qui lui permet de faire face à cette agression. Nous avons vu que cela était désigné par le mot anglais stress. La réaction immédiate adaptative (ou stress adapté) est une réaction d’alerte et de mobilisation. Elle double l’alarme et la mobilisation biophysiologique du stress d’une alerte et d’une mobilisation psychologique se manifestant dans les sphères cognitives, affectives, volitionnelles et comportementales.

Cette réaction inadaptée (stress dépassé) se présente sous quatre formes :

  • La sidération qui saisit le sujet d’un coup dans toutes ses facultés où sur le plan cognitif, le sujet est stupéfait, incapable de percevoir, d’évaluer, de penser… Où il ignore où il est et qui il est. Où sur le plan affectif, il est stuporeux, dans un état second. Où sur le plan volitionnel, il est sidéré, frappé d’une paralysie de la volonté, d’une suspension de sa faculté de décider. Où sur le plan comportemental, il demeure immobile dans le danger.
  • L’agitation est la réaction inverse, c’est-à-dire un état d’excitation psychique, de désordre affectif et d’anarchie volitionnelle où le sujet gesticule, crie, s’agite en tous sens ou profère des propos incohérents et où sa relation à l’autre est perturbée.
  • La fuite panique est une réaction de course éperdue et inadaptée. Une fuite compulsive non raisonnée où le sujet bouscule tout sur son passage avec un regard vide. Cette impulsion peut être alors contagieuse (paniques collectives).
  • Le comportement d’automate n’attire en revanche pas l’attention et ne donne pas lieu à des gestes spectaculaires de la part du sujet. Il faut alors bien l’observer pour déceler là ses gestes saccadés, là ses gestes répétitifs ou inutiles.

Ces quatre réactions immédiates inadaptées sont de durée variable. Le plus souvent, la réaction immédiate adaptée n’est pas vécue sur le mode du trauma alors qu’au contraire, la réaction immédiate inadaptée est vécue comme un trauma. Cependant, les pronostiques sont incertains et c’est souvent l’avenir qui livrera son verdict sur  l’événement traumatisant qui aura été ou non vécu comme un trauma. Marmar en 1997, retiendra la confusion mentale, la désorientation spatiale, l’impression de temps ralenti, la perte du fils des idées, l’impression d’être le spectateur d’un film, l’impression d’étrangeté de l’environnement et l’amnésie de certains aspects de l’événement (symptômes cognitifs) ; l’état oniroïde, l’impression de déformation de l’image de son propre corps et l’impression que l’événement arrive à quelqu’un d’autre, mais pas à soi (symptômes affectifs) ; et l’impression d’agir en « pilote automatique » (symptôme volitionnel), comme étant des signes de dissociation péritraumatique.

Clinique de la période postimmédiate

Durant longtemps dans les diverses nosographies, la période postimmédiate ne fut pas identifiée. On passait directement de la réaction immédiate de stress à la névrose traumatique durable et chronicisée. Aujourd’hui, la classification internationale des maladies mentales (CIM-10, 1992) inclut bien cette période postimmédiate.

La réaction de stress adaptative, et parfois aussi certains stress dépassés, évoluent pendant la phase postimmédiate vers un retour à la normal. Ce retour progressif à la normal est souvent émaillé de décharges émotionnelles différées ayant pour but de libérer la tension émotionnelle contenue pendant l’action. Le sujet peut alors se mettre à trembler, à s’agiter, à crier ou s’effondrer en pleurs, faire une crise de nerfs avec une sudation intense, des nausées et des vomissements, des pertes d’urine et du contrôle sphinctérien anal. Ces actions différées apportent alors un soulagement mais peuvent le plus souvent revenir après une période de latence d’une névrose traumatique. Une variante clinique du temps de latence est une forme « euphorique-agitée » où le sujet manifeste cette euphorie de façon exubérante, logorrhéique auprès des autres. Cette euphorie cache bien sûr la fixation du sujet à son trauma et le conduit immanquablement à l’installation d’une névrose traumatique. Il y a donc comme nous venons de le mettre en évidence, un échelonnement dans l’éclosion des divers symptômes jusqu’à la constitution tardive de la névrose traumatique complète.

Si la reconnaissance de la phase postimmédiate a été tardive dans l’histoire de la pathologie psychotraumatique, elle a été incluse comme une partie constituante initiale de la névrose traumatique et aujourd’hui, quelle que soit la nosographie américaine ou européenne, on admet qu’il s’agit d’une période primordiale au cours de laquelle, le devenir du sujet peut se jouer.

Clinique de la névrose traumatique

Voyons enfin dans cette dernière partie la clinique de la névrose traumatique, laquelle nous l’avons vu a été identifiée en premier par H. Openheim en 1888 au sujet des accidents ferroviaire. Cette entité nosologique a été utilisée tout le XX è siècle avant d’être remise en cause à partir de 1980 par la DSM qui récusa le terme de névrose, lui préférant le diagnostic « d’état de stress post-traumatique », tandis que la CIM-10 rajoutait une « modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe » pour les cas sévères qui correspondait en fait à la névrose traumatique.

Pour être atteint d’une névrose traumatique, il faut qu’un sujet ait vécu, à l’origine de cette névrose, une expérience psychotraumatique impliquant non seulement le fait d’avoir été exposé à un événement potentiellement psychotraumatisant mais aussi l’effraction du système de défense qui consiste à attribuer du sens à l’insensé de l’événement. Comme avec certains états de stress, les symptômes de la névrose traumatique ne surviennent pas d’emblée de l’événement (« période de préparation » selon Freud, Charcot ou Janet). Nous avons vu que les symptômes de la réaction immédiate sont radicalement différents de ceux de la névrose traumatique et que la phase postimmédiate passe pour être cliniquement silencieuse.

Au sujet de la névrose traumatique, le syndrome de répétition est typique, pathognomonique. Il est l’ensemble des manifestations cliniques par lesquelles le patient traumatisé revit intensément, contre sa volonté, son expérience traumatique. Janet dès 1919, illustrait la fixation au traumatisme en reprenant un vers d’un poète où un homme harcelé par des mauvais souvenirs cherchait à partir au loin mais où le chagrin montait en croupe et galopait avec lui.

Le tableau clinique de la névrose traumatique comprend trois volets :

  1. Le syndrome de répétition comporte sept manifestions cliniques :
  • La reviviscence hallucinatoire
  • L’illusion
  • Le souvenir forcé
  • La rumination mentale
  • Le vécu comme si l’événement allait se reproduire
  • L’agir comme s’il se reproduisait
  • Le cauchemar de répétition

 

  1. Les symptômes non spécifiques 

Ses symptômes sont l’asthénie, l’anxiété, des symptômes psychonévrotiques, des troubles psychosomatiques et des troubles de conduites. Les traumatisés deviennent alors asthéniques, fatigués ou épuisés (asthénie physique, psychique et sexuelle) et deviennent anxieux, en proie à des crises d’angoisse ou à une tension anxieuse intercritique. Les sujets sont alors pris d’accès d’angoisses psychiques et somatiques et ont des manifestations psychonévrotiques empruntées aux névroses de transfert telles des crises ou des conversions hystériques, des phobies ou autres  rituels divers. D’autres individus émettent des plaintes somatiques très fortes (céphalées, gastralgies) avec parfois des troubles caractérisés comme l’asthme, des ulcères, des colites spasmodiques ou encore des eczémas… Il ne leur reste alors pour se plaindre que le langage du corps et de l’organe. Enfin, la totalité des traumatisés présentent des troubles de conduite et caractériel comme par exemple l’anorexie, la boulimie, la toxicomanie post-trauma, les tentatives de suicide ou les rixes.

  1. L’altération de la personnalité 

La plupart des traumatisés déclarent enfin avoir changé de personnalité depuis leur trauma, exprimant par-là la profonde altération qu’a subie leur personnalité. Cette altération a été remarquée par de nombreux cliniciens de la névrose traumatique (Abraham, Ferenczi, charpentier, Simmel…). Fénénichel en 1945 donna une définition intéressante, précisant que la névrose traumatique effectue un triple blocage des fonctions du moi : les fonctions de filtration de l’environnement, les fonctions de présence au monde et les fonctions libidinales d’amour et de relation à autrui.

En fin de compte et selon une définition du professeur Crocq, le patient à la suite d’un événement traumatique n’a jamais plus la même façon de percevoir le monde, de l’apprécier, de le penser, d’y aimer, d’y vouloir et d’y agir. Il a établi avec le monde, avec les autres et avec lui-même, un autre type de relation, marqué par la persistance anormale de la souvenance de l’éprouvé traumatique brut, par la mise à distance du monde réel et par l’adoption d’une nouvelle attitude envers autrui, à la fois méfiante et vainement possessive.

Nous avons montré en quoi la victimologie (ou psychotromatologie) est aujourd’hui une science. En particulier, nous avons insisté sur l’objet qui l’intéresse, c’est-à-dire le lien entre le corps et le psychisme humain. Sur la méthode et le moyen privilégié dont les divers psychiatres ou psychologues cliniciens usent pour approcher leur objet. Nous avons donc parlé dans un premier temps de la différence (souvent non établies) entre le stress et le trauma et dans un bref historique de la pathologie du trauma, retracé les acquis progressifs de cette science. Nous avons enfin montré en quoi la clinique de la réaction immédiate et celle de la période postimmédiate étaient distinctes entre elles et comment celles-ci étaient distinctes à leur tour de la clinique de la névrose traumatique. Nous avons donc donc montré quel chemin la psychologie clinique suivait pour préciser non seulement son objet mais aussi ses méthodes. Ce parcours se faisant en corrélation avec les développements de la théorie traumatique et des concepts, ces points paraissent rendre compte de la scientificité de cette jeune discipline.

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