Le développement de la psychanalyse et de la psychiatrie d’une part, l’évolution de la criminologie d’autre part, ont favorisé l’émergence récente d’une nouvelle discipline appelée « victimologie » en essayant de donner une définition satisfaisante à propos du statut de victime. Nous allons donc nous intéresser à cette discipline et aux pathologies du trauma qui l’accompagne, lesquelles pathologies sont plus en plus mis sur le devant de la scène sociale. Il s’agira de faire un historique de cette nouvelle discipline et de repérer quel en est son objet d’étude.
Après un historique de la pathologie du trauma, nous ferons la distinction entre le stress et le trauma et reviendrons ensuite sur la clinique de la réaction immédiate, puis sur la clinique de la période postimmédiate et enfin sur la clinique de la névrose traumatique. Ces divers points permettront de présenter les critères de scientificité de cette discipline et de repérer les outils conceptuels dont dispose le psychologue clinicien pour mener à bien son travail auprès de personnes victimes d’agressions les plus diverses.
Victime
S’interroger sur ce qu’est une victime ne va pas de soi, la victime ayant été pendant des années, considérée qu’à travers le prisme d’une culpabilité d’origine religieuse. Ainsi, même lorsque son innocence fut avérée, son sacrifice était reconnu comme nécessaire par la collectivité pour apaiser les Dieux vengeurs. Il aura fallu le développement des sciences humaines, et plus particulièrement de la psychanalyse, pour permettre de comprendre la nature du déterminisme pouvant peser sur les différentes victimes.
Issu du latin victima, qui possède un sens religieux, le mot victime désignait à l’origine une créature vivante offerte en sacrifice à une divinité et, par extension, toute personne qui sacrifiait volontairement sa vie ou son bonheur à quelqu’un, à une idée, ou qui était sacrifiée à la haine et à la vengeance de quelqu’un. Le sacrifice constitua ainsi longtemps un élément essentiel de la vie religieuse primitive. Les mythes en perpétuaient le souvenir au travers de cérémonies où, pour assurer l’équilibre et la survie de leur communauté, les hommes immolaient des victimes aux Dieux. Progressivement, les animaux ont remplacé les hommes lors de meurtres rituels. C’est ainsi qu’à l’époque d’Euripide (V è siècle avant J-C), même lorsque des dangers particulièrement pressant mettaient la cité en péril, on ne sacrifiait presque plus d’être humain. Mais plus généralement, la mise à mort des victimes constituait un acte religieux signifiant que la victime expiait pour la communauté une faute originelle et du même coup, l’en délivrait. On peut donc dire qu’une dynamique sacrificielle orientait la pensée mythique et religieuse.
Freud a tenté de comprendre, à la lumière du mythe d’Œdipe, comment la culpabilité pouvait être source d’un ordre social, repérant par-là les racines fantasmatiques de la nécessité d’expiation et du sacrifice. Dans son livre Totem et Tabou, il démontra que le complexe d’œdipe ne se trouvait pas seulement au cœur du conflit névrotique de l’individu, mais constituait aussi le noyau de l’éducation et de la culture. Il expliqua l’universalité de la loi dans sa dimension symbolique par le mythe du meurtre du Père de la horde primitive, dévoré par ses fils, privés de femmes : À l’origine, aurait existée la horde primitive, dirigée par un Vieux tyran se réservant les femelles et chassant ses fils lorsqu’ils pouvaient devenir ses rivaux. Un jour, les frères, sans exception, s’unirent pour tuer le père et pour se partager son corps. Coupables, ceux-là prirent la décision de renoncer définitivement à la mère. Ils édictèrent alors la loi des lois concernant la prohibition du cannibalisme et de l’inceste, celle-ci étant la limite ultime (impérative et catégorique) de toute évolution possible des lois positives. Cette communion totémique réalisera l’identification au père mort, redouté et admiré pour devenir loi symbolique. C’est cette identification et cet accès à la loi qui fonderont la société comme telle, avec sa morale, ses institutions et sa culture. Les deux premiers tabous consistant à ne pas tuer le totem (substitut du père) et à ne pas se marier avec des parents (tabou de l’inceste) constituèrent la transposition sociale du complexe d’œdipe. L’interdit de l’inceste est la loi qui règle les rapports entre les sexes et les générations, socle de la vie sociale. Le meurtre collectif du père, réel puis symbolique, permettait chez les membres du groupe, l’idéalisation du disparu, aimé et haï, et l’incorporation de son image, devenant alors le soubassement de la loi commune.
Pour Freud, la Loi est bien une donnée symbolique culturellement transmise par le langage.C’est donc le meurtre collectif, la haine et la culpabilité, qui constituent le fondement du lien social. D’autres auteurs comme R. Girard, G. Lefort ou J.M. Oughourlian ont aussi décrypté les mythes comme le récit d’une mise à mort collective qui déboucherait sur la sacralisation de la victime et l’avènement d’une culture.
L’avènement d’une science
En raison de la force des préjugés religieux attachés à la notion de victime et à sa dimension sacrée, l’étude scientifique de celle-ci n’allait pas de soi. Face à toutes ces croyances où le hasard était souvent mis en avant, ce sont les criminologues les premiers qui s’intéresseront d’un point de vue scientifique aux victimes et feront très vite valoir les liens existant entre les victimes et leurs bourreaux. Durant un long temps, les victimes furent donc considérées comme étant également coupable de l’être. Les sciences humaines ont alors essayé de comprendre comment des personnes en arrivaient à se constitué de la sorte. De ce point de vue, la notion de traumatisme est devenue déterminante.
La victimologie est née aux Etats-Unis, au Canada et en Grande-Bretagne. Elle consista en une analyse des processus et des causes par lesquels un individu devient victime et des conséquences que cela induit, sans oublier les droits auxquels il peut prétendre. La France reconnaîtra cette discipline comme une science à part entière en 1944 en créant la Société Française de Victimologie et en créant également un diplôme universitaire de victimologie ainsi qu’un diplôme universitaire de stress et de catastrophe à l’université.
Von Hentig, Mendelsohn, Ellenberger et Fattah furent les premiers à mener une étude systémique des victimes (1950) où la victime et le criminel ne pouvaient être dissociés. C’est Mendelsohn, un avocat en droit pénal, qui le premier emploiera le terme de victimologie lors d’une intervention en psychiatrie (1947) intitulé : « De nouveaux horizons bio-phycho-sociaux : La victimologie ». Mais c’est Von Hentig qui sera considéré comme le véritable père de la victimologie moderne puisqu’il sera le premier à systématiser l’étude des victimes et à en dégagera des traits caractéristiques permettant une typologie. Il définira deux catégories de victimes : « Le criminel victime » et « la victime latente ». D’autres chercheurs détermineront d’autres profils psychologiques mettant en évidence les prédispositions victimogènes de certains individus, profils psychologiques qui aujourd’hui ne sont plus valables. En 1967, Fattah définira la victimologie comme étant l’ensemble des connaissances biologiques, psychologiques, sociologiques et criminologiques concernant une victime. Elle s’éloignera plus tard des théories et ne s’intéressera alors qu’à la victime directe, défendant la thèse de la culpabilité à priori de la victime.
Nous venons de voir que l’apport des criminologues en matière de victimologie fut considérable. Néanmoins, ceux-ci se seront seulement contentés à catégoriser les victimes. La psychanalyse reprendra alors les avancées de ces premiers chercheurs en l’éclairant par la notion de traumatisme et en lui donnant une signification différente. Il aura fallu attendre la fin du XIX è siècle et ses accidents de chemin de fer (auxquels Charcotconsacra divers travaux dans les années 1850) pour voir Oppenheim reconnaître le concept autonome de névrose traumatique, et voir Janet puis Freud se pencher sur la pathogénie du trauma. Ensuite, les deux guerres mondiales favoriseront toutes sortes de recherches. Toutefois, c’est la guerre du Viêt-Nam qui inspirera en 1980, à la nouvelle nosographie américaine la réhabilitation de la névrose traumatique, sous l’appellation de Post-Traumatique Stress Disorder (PTSD) et en français « état de stress post-traumatique ».
Mais avant cela, les précurseurs furent nombreux. Dès 900 avant J-C, l’iliade d’Homère faisait mention de la peur des guerriers face au danger, de l’horreur face aux blessures mutilantes… Gilgamesh en 2200 avant J-C parlait d’un roi allant jusqu’au portes de l’enfer et interrogeant l’âme d’un ami qu’il avait vu mourir. L’antiquité livrera également de véritables observations cliniques tels Hérodote en 450 avant J-C, Hippocrate en 420 avant J-C ou Xénophon en 401 avant J-C qui mentionneront des rêves de batailles de guerriers. La chanson de Roland vers 1100 présentera les mêmes caractéristiques de réalisme d’horreur et de mystère face à la mort.
En 1572, le Roi Charles IX se plaindra à son médecin d’être harcelé jour et nuit par des visions effrayantes et des cauchemars de cadavres vus durant des massacres. Plus tard, vers 1600, Shakespeare dans des pièces de théâtre fera état de rêves de batailles ou d’un couple torturé par les remords de son crime. En 1654, Pascal présentera dans un texte suite à un accident personnel dans son carrosse, tous les symptômes de ce qui est nommé aujourd’hui comme étant une « une névrose traumatique ». Les évènements de la Révolution et les guerres de l’Empire fourniront à Pinel des cas cliniques consécutifs à des frayeurs et à des émotions morales. Quant aux médecins des armées napoléoniennes comme Larrey, Percy ou Desgenettes, ils dénommeront « syndrome du vent du boulet » les états confuso-stuporeux des combattants épargnés de justesse par un boulet.
L’apparition des canons rayés et des mitraillettes rendra les guerres du XIX è siècle toujours violentes et effroyables. Tolstoï en 1854 décrira la souffrance psychique des blessés et l’étrange comportement saisissant les combattants luttant contre la mort. H. Dunant en 1862 décrira le désespoir des blessés abandonnés sur le champ de bataille (il parla de prostration, d’état d’agitation et parlera d’un cas « psychosomatique » à propos d’un soldat autrichien revenu de guerre). La guerre de Sécession américaine donnera aussi l’occasion à deux médecins de l’armée nordiste (J.M. Da Costa et S. Weir) de décrire le « cœur du soldat » et « l’hystérie postémotionnelle » chez l’homme. Entre les années 1857 et 1866, Duschesne en France ou Eriksen en Angleterre consacreront des travaux sur le cortège des premiers accidents ferroviaires. Charcot en France procéda à ses présentations de malades parmi lesquels figuraient justement des victimes de ces accidents de train (1884-1889).
Le XX è siècle sera un siècle de guerres et de destructions massives encore insoupçonnées, occasionnant de multiples traumas. L’allemand Honigman créera le terme de « névrose de guerre » qu’il considèrera comme étant une simple variété étiologique de la névrose traumatique d’Oppenheim. La seconde guerre mondiale se terminera par la découverte des camps nazis et soviétiques ainsi que par les bombardements atomiques au Japon. Targowla puis Eitinger décriront à leur tour en étudiant ces douloureux épisodes, la névrose traumatique des gens ayant réchappés à ces horreurs massives. Mais comme déjà exprimé, c’est la guerre du Viêt-Nam qui viendra compliquer tous les tableaux cliniques en vigueur à l’époque à propos de la nosographie du trauma, tant celle-ci heurtera les consciences aussi bien aux Etats-Unis que dans le reste du monde.